Faire Assemblée Pastorale avec le retour des loups
De ferme en ferme sur la Montagne Limousine, 17–21 mai 2022
La semaine Faire Assemblée Pastorale (FAP) est une initiative portée par Quartier Rouge, engagé depuis 2017 dans une médiations avec un réseau d’éleveur·euses, de chercheur·es, d’artistes, d’habitant·es et d’institutions locales autour de la cohabitation avec le retour des loups sur la Montagne Limousine.
Durant cinq jours, une soixantaine de personnes — éleveurs, chercheur·es, artistes, étudiant·es, habitant·es — se retrouvent sur la Montagne Limousine pour traverser ensemble un paysage de pratiques. De ferme en ferme, de landes en forêts, elles expérimentent des pratiques pour imaginer des formes d'assemblées pastorales avec le retour des loups sur la Montagne Limousine.
Jour 1 – Ferme de Lachaud, Gentioux
Élever des paysages
Le matin, Johanna Corbin et Frédéric Lagarde ouvrent les portes de leur ferme. Tourbières, molinies, brebis et chiens de protection composent un milieu à la fois fragile et composite. On découvre l’élevage comme un art d’attention. La journée se poursuit par des pratiques corporelles et spéculatives : trek danse pastorale avec Robin Decourcy, communication animale avec Charlotte Letient, controverse multispécifique avec Pascal Ferren. Les corps se déplacent, les perceptions s’affûtent, les rôles se déplacent. Le groupe devient peu à peu une assemblée fluide, hétérogène, mais attentive.
Jour 2 – Haute-Besse, La Villedieu
Échanger les rôles, suivre les traces
Thierry Letellier, éleveur et maire, présente les paysages de son enfance, leurs transformations, les choix qui s’imposent à l’heure du loup. Chasseurs et éleveurs locaux se joignent aux échanges. Un jeu de rôle simulant une réunion préfectorale, conduit par Farid Benhammou, met en lumière les tensions entre intérêts agricoles, environnementaux et institutionnels. Jessica Hureaux propose une cartographie des présences sauvages à partir de pièges photographiques posés en amont. La journée se clôt par une lecture de paysage à l’heure bleue avec le guide Stéphane Grasser, où la géologie croise les récits. On commence à sentir que penser ensemble nécessite de déplacer les cadres, d’ouvrir d’autres registres.
Jour 3 – Le Goutailloux, Tarnac
Réouvrir le milieu
Sur la ferme de Léo Pauwels et Namik Bovet, l’attention se porte sur les sols, les coupes rases, les équilibres à recomposer. Ici, les pratiques agricoles s’inventent en dialogue avec les ruines forestières. Le Groupe herpétologique et mammalogique du Limousin présente un outil d’évaluation du risque de prédation. Dans le même temps, les participant·es s’exercent à des fictions écologiques, inventent des manières de penser et de raconter la cohabitation, à partir de ce qui a été vu, senti, éprouvé. Chaque groupe commence à nommer ses propres termes, à dessiner ses questions. L’assemblée se densifie.
Jour 4 – Saint-Frion
Incorporer la cohabitation
Éric Moreau accueille sur ses terres. Les enjeux se précisent : clôtures, temporalités de pâturage, pratiques sylvicoles et systèmes d’aides dessinent un territoire d’incertitudes et de négociation. Une discussion s’ouvre autour de la conflictualité des usages, non pour la résoudre mais pour en sentir les lignes. Les pratiques proposées invitent à affiner ses perceptions, à rendre visibles les forces en présence, à sentir comment les corps s’y ajustent ou résistent.
Jour 5 – Gare de Felletin
Atterrissage : rendre présent
Le dernier jour, à la gare Felletin, les groupes se réunissent autour des traces récoltées tout au long de la semaine : lettres, cartes, mots, dessins, souvenirs. Il ne s’agit pas de conclure, mais de déposer ce qui s’est transformé. Des formes émergent : archipels de termes, constellations de questions, fragments d’assemblées à venir. Le temps se fait poreux, les voix se répondent. Ce rituel d’atterrissage est à la fois bilan et seuil : un espace transitoire d’où pourraient naître d’autres manières de se réunir, d’écouter, de composer.
Faire Assemblée Pastorale n’a pas produit de solution mais a constitué un milieu d’expérience, un espace-temps pour expérimenter la cohabitation — pas seulement avec le loup, mais avec les incertitudes, les désaccords, les altérités. Des prototypes d’assemblées sans mandat ni majorité, mais avec des pratiques en partage, des milieux situés et des puissances de transformation discrètes ont pu être testé à l'issue de cette immersion en fermes en fermes.
Cette expérience transformative d’une semaine un collectif traverse un paysage de pratiques liés aux enjeux de cohabitation avec le vivant avec comme point d'entrée le retour des loups sur le territoire, envisagé comme un élément déclencheur. En prenant la ferme comme milieu pour partager des pratiques variées, cette expérience propose de penser plus largement comment la ferme et son environnement deviennent un espace politique, un laboratoire d’avenirs. De fermes en fermes et en s'extrayant de la situation d’urgence que peut soulever le retour des loups, il devient possible de prendre en compte les ancrages positifs de la cohabitation. L’enjeu de l’expérience est la trajectoire de chacun·e et du groupe : la manière dont les questions, observations et intentions s’actualisent jour après jour en goûtant à des pratiques variées. Les participant·e·s, mis·e en relation par la pratique, découvrent des manières de faire, de voir ou de sentir. En pratiquant ensemble iels se rencontrent simultanément comme vivant·e, individu, eleveur·euse, partenaire, promeneur·euse, élu·e, naturaliste… Cette expérience vise à prototyper ou identifier des assemblées de territoire pertinentes pour formuler de nouveaux projets de territoire prenant en compte la cohabitation avec le vivant. La semaine se conclut par un rituel d'atterrissage pour sentir les dynamiques en présence qui pourraient se constituer en futurs assemblées.
La conception du programme et la coordination de l’événement ont été menées par Quartier Rouge avec Benoît Verjat, en dialogue avec Johanna Corbin, Thierry Letellier, Éric Moreau, Léo Pauwels (éleveur·euses et hôtes), Boris Nordmann (artiste) et Patrick Degeorges (philosophe).