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Institut des Hautes Études pour les Pratiques et les Arts de Transformation

Pour des entreprises capables d’apprendre des milieux vivants

Un parcours conçu pour le CEA (Grenoble) entre novembre 2022 et mars 2024

En partenariat avec Ideas Laboratory (CEA Y.SPOT Grenoble), l’IHEPAT a conçu un parcours d’expérimentation inédit pour accompagner des dirigeants confrontés à la fragilisation croissante des milieux de vie dont dépendent les activités économiques. L’enjeu ne consiste pas à adapter les outils de gestion aux nouvelles contraintes environnementales, mais à reconfigurer les cadres de perception, de décision et d’action à partir d’une question radicale : et si la cohabitation avec les autres vivants devenait un principe actif de transformation ?

Une entrée par l’écoute :
préparer le terrain intérieur

Tout commence en amont, non par une transmission descendante, mais par une mise en mouvement individuelle. Des entretiens personnalisés sont proposés à chaque participant·e : non comme une formalité logistique, mais comme un véritable moment de bascule. Ces échanges permettent d’identifier des résonances personnelles, de poser les premiers jalons d’un questionnement sensible, et d’ouvrir un espace intérieur de disponibilité. 

Des immersions incarnées
dans des milieux vivants

Pendant dix-huit mois, un groupe d’une dizaine de cadres et dirigeants issus d’entreprises industrielles et de PME engagées dans des démarches de transition, de responsables de services publics et de chercheurs s’est engagé dans une expérience d’apprentissage sensible au sein de fermes pionnières. Ces lieux ont en commun d’articuler pratiques agroécologiques, attention aux milieux, et hospitalité des transformations. Il ne s’agit pas d’y chercher des modèles reproductibles, mais de se laisser affecter, de se décaler, d’éprouver d’autres manières d’être en relation avec le vivant. Ces immersions permettent d’intégrer profondément le sens de la cohabitation, non comme un concept mais comme l’expérience vécue d’une co-dépendance. 

Marcher dans un bocage, brosser un veau, cuisiner des herbes cueillies ensemble : autant de gestes apparemment simples, mais qui ouvrent un rapport élargi au temps, aux rythmes, aux interdépendances invisibles.

Les immersions sont tissées de pratiques sensibles : marches silencieuses, balades en aveugle, expérimentations de thermoception, lectures situées de paysage, fictions corporelles, transmissions paysannes, constellations écologiques… Ces expériences mobilisent le corps, la mémoire, les sens et l’imaginaire. Elles visent moins à “comprendre” qu’à percevoir différemment, à développer une intelligence située, capable de faire place à ce qui résiste aux schémas habituels.

Tracer, relier, transformer

Afin de permettre l’ancrage des expériences et leur résonance dans le temps long, le groupe s’appuie sur des outils de documentation vivante : carnets de terrain, notes partagées, cosmogrammes pour cartographier les relations, et auto-descriptions dans un langage débarrassé du lexique de la performance.

Ces matériaux nourrissent un travail de reprise collective, mené au fil d’ateliers d’intégration : analyses analogiques, cartographies sensibles, narrations fictives (lettres introspectives, offres d’emploi pour des métiers à inventer…). Le but n’est pas de produire des livrables, mais de laisser émerger les effets transformateurs sur la posture du décideur.

Des lieux qui enseignent autrement

Le parcours à été pensé avec trois milieux de pratiques partenaires de l’institut. Chaque immersion donne lieu à une rencontre singulière avec un territoire et ses forces propres. Ces lieux stimulent l’imagination spéculative pour explorer d’autres manières d’être et d’agir, ancrées dans le soin et la relation. 

À Zone Sensible,
faire corps avec le milieu

Dans cette ferme urbaine de Seine-Saint-Denis, ce sont les oiseaux qui enseignent au maraîcher à ralentir, à réajuster son tempo d’intervention. L’expérience du jardin permacole, de la cueillette à la cuisine faite ensemble, donne lieu à des pratiques écosomatiques : le corps se rend perméable au milieu. Ici, l’attention portée à l’agir des autres vivants révèle de nouvelles formes de coopération, au-delà de l’utilité.

À Montlahuc,
apprendre à «penser comme une montagne»

Dans la Drôme, la présence des loups et des castors déplace la posture de l’agriculteur, l’amenant à reconnaître le territoire comme un partenaire vivant, non comme une ressource. Les constellations territoriales ouvrent à une écoute active des entités non humaines, permettant une compréhension incarnée de l’interdépendance écologique. 

À La Mhotte,
la robustesse comme art de la cohabitation

Dans le bocage bourbonnais, la santé se donne à vivre comme une capacité à cohabiter avec l’incertitude. À travers des gestes simples — entrer en silence dans l’étable, brosser un veau, observer sans forcer le contact — les participants expérimentent une qualité de présence fondée sur l’écoute, la lenteur et l’ajustement. Ici, le soin devient relation, et la robustesse s’éprouve dans la complexité vivante des liens entre humains, animaux et milieux.

Des effets concrets, en entreprise

À l’issue du parcours, un dispositif de suivi permet d’accompagner les retours d’expérience. Les entretiens de fin de parcours offrent un espace d’élaboration réflexive ; les restitutions collectives mettent en lumière les transferts opérés en entreprise.

Parmi eux, la création d’un verger collaboratif ou l’expérimentation de modes de gouvernance non hiérarchique favorisant la coopération dans les entreprises. 

Mais au-delà de ces résultats explicites, c’est une transformation en profondeur qui s’amorce : l’entreprise cesse d’être une machine à piloter, elle devient un milieu vivant à habiter, capable de s’orienter dans l’imprévisible, d’apprendre, et de se transformer au contact des écosystèmes dont elle dépend.

Vers une écologie des organisations

Ce parcours agit comme un opérateur de reconfiguration cognitive, affective et politique. Il permet aux dirigeants d’exercer d’autres formes d’intelligence : non plus seulement stratégique ou analytique, mais perceptive, contextuelle, dialogique. Il ouvre la voie à une écologie des organisations, où la robustesse s’incarne dans l’attention, la porosité au milieu, la capacité à composer avec le vivant. À l’image de ce que Michel Serres appelait le “contrat naturel”, il ne s’agit plus de dominer ou d’exploiter, mais d’entrer en alliance.  L’enjeu n’est plus de se protéger d’un environnement extérieur, mais d’instituer un milieu commun — un tissu d’attachements réciproques où les relations s’inscrivent dans un pacte de co-dépendance.. En reconnectant la connaissance au soin, on sort des logiques de contrôle pour faire émerger des formes d’organisation sensibles, évolutives et écologiquement responsables.