Explorer avec des scientifiques des dispositifs d'expérimentation sensible
Un TP d'expériences transformatrices
OZCAR-IR (Observatoires de la zone critique, applications et recherche) est une infrastructure de recherche nationale lancée en décembre 2015. Soutenue par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, cette initiative a pour but de fédérer les observatoires et sites instrumentés qui s’intéressent à différents compartiments de la Zone critique. Ce concept - désignant la pellicule la plus externe de la planète, siège de la vie et de l’humanité, entre ciel et roches - vise à décloisonner les objets scientifiques liés au fonctionnement du système Terre (eau, sol, roches, arbres, air, climat...) et cela passe par la création d’un dialogue entre les disciplines chargées d’étudier ces objets.
Dans ce cadre, l’IHEPAT a participé à la 3ème édition de l’école d’été OZCAR qui s’est tenue du 1er au 7 juillet 2023 à Aubure, village alsacien abritant l’observatoire OHGE (Observatoire Hydro-Géochimique de l’Environnement) de l’Université de Strasbourg. Cette école d’été a réuni un public varié de doctorant·es et des chercheur·ses.
A cette occasion, l’IHEPAT a expérimenté un TP d’un genre nouveau. En parallèle de l’hydrologie, la géochimie, l’hydrogéophysique ou l’écologie forestière, le TP d’expériences transformatrices a proposé aux participant·es d’entrer dans un dispositif d’expérimentation pour appréhender et interpréter une situation complexe par leur implication sensible et l'expression de leurs ressentis. Ce changement de registre a permis de considérer d’autres types de savoirs qui se trouvent dans un lieu et d’explorer de nouvelle manière d’être affecté, d’une manière que Bruno Latour a proposé d'appeler géopathique. Sur 4 jours consécutifs ont été conduites une série de constellation systémiques. Dans ces constellations, le groupe se met au service d’une question à poser au lieu. Dans un espace matérialisé par un cercle les participant·es vont incarner différentes entités d’un système et partir de leur ressentis pour les incarner. Les entités appelées peuvent être humaines dans le cas de constellations systémiques ou des organisations et s'ajoutent ici de personnes non-humaines. Les manières de se lier au lieu sont empruntées à des pratiques d'écopsychologie tel que “l’assemblée de tous les êtres” de Joanna Macy.
Pour le TP, nous avons décidé de nous en tenir à un seul site afin de vivre collectivement un processus d’approfondissement et d’évolution d’une question à travers la répétition de constellations impliquant à chaque jour de nouvelles personnes. En tenant compte des effets produits par chaque constellation sur la reformulation progressive de la question posée au même lieu, nous avons ainsi pu mettre en relation une série d’expériences partagées dans un référentiel commun à tous les participant·es de l’école d’été. Nous avons testé et calibré ainsi ensemble un dispositif expérimental pour recueillir des connaissances situées. Lors de notre visite préparatoire avec l’équipe de l’observatoire, le site de la source du Steinbach où nous avons conduit les constellations nous avait été présenté à partir d’un enjeu centré sur les impacts négatifs des ongulés sauvages sur la régénération forestière. Des parcelles entourées de clôtures depuis une quinzaine d’années mettent en évidence, par la diversité des essences qu’elles hébergent, comparativement aux zones non protégées, les conséquences de cet abroutissement sur la végétation forestière. La question orientant la première constellation de la série porte d’emblée sur cet enjeu de l’équilibre sylvo-cynégétique.
Or, nous nous réalisons rapidement que cette question technique présuppose au fond que l’on sait mieux que le milieu ce qui compte ou ce qui est bon pour lui, alors qu’il s’agit de se mettre à l'écoute de ce qui vient, de se laisser affecter par l’altérité du lieu. C’est pourquoi, comprenant la nécessité d’étoffer la question de départ et de l’ouvrir, nous simulons une demande de la maire d’Aubure de prendre en considération dans son conseil municipal les intérêts du milieu auprès des habitants, des forestiers et des chasseurs. La question de l’eau, de l’appropriation humaine de l’eau, s’impose alors au terme de la deuxième constellation. Cette évolution change notre façon d’aborder le lieu dans la troisième constellation : nous venons désormais sur « la demeure d’une source » poser la question du partage de l'eau, dans une situation de raréfaction de la ressource. Cette nouvelle configuration permet la manifestation d’un élément nouveau, le feu, qui se place au cœur du dispositif et conduit à une recomposition profonde du milieu. Nous décidons alors de tenter une sorte de dialogue avec le milieu, pour demander comment rendre ce que l’on prend, et donc pour mieux comprendre le sens de ce que l’on prend au milieu, dans la quatrième constellation, qui fait place à l’élément du vent et des tempêtes.
Comme pour les autres TP, la discussion des conclusions issues de la mise en œuvre de ce dispositif a fait l’objet d’une session de restitution avec l’ensemble des participants. Au-delà des conclusions partielles, ce sont les effets sur le long terme sur les participants qui est recherché. Cette démarche expérimentale est un processus itératif dont le propos est moins de produire des réponses aux questions posées que de permettre à ceux qui la pratique de se laisser affecter par l’écoute du milieu et d’apprendre progressivement les questions nouvelles que cette aventure leur révèle.
Cette expérience a fait l'objet d'une restitution dans la newsletter du réseau OZCAR-IR que vous trouverez ici.
Ce projet s'est prolongé au mois d'octobre 2023 avec les équipes de l'Ecole & Observatoire des sciences de la Terre (EOST) de l'Université de Strasbourg et du CNRS, dans le cadre d'une démarche transverse autour de la question du partage de l'eau.