Cosmogrammer
voir émerger et ressentir des analogies
Cette pratique est en cours de développement à partir des contextes variés (associatifs, artistiques, activistes ou de recherche).
Dans le cosmogramme tel que nous le pratiquons, des objets apportés par les participant·es sont placés de manière intuitive sur une surface, chacun devenant une entité représentant une idée, une sensation, un vivant, un procès, ou un moment vécu. Le processus commence par l'observation et l'écoute intérieure, permettant de choisir et de disposer les objets sans réflexion analytique. Chaque participant peut saisir un objet et le placer selon son ressenti, en explicitant brièvement l'entité représentée, sans détailler la relation entre l'objet et l'entité.
Le cosmogramme, en constante évolution, devient un champ de conscience collective où les participants observent les effets de leurs actions et notent leurs ressentis. Les objets peuvent être déplacés ou retirés, ce qui équivaut à un changement d'attention plutôt qu'à une suppression. Ce processus met en lumière l'évolution des relations entre les entités et la qualité changeante de ces interactions.
La pratique collective du cosmogramme implique une exploration des analogies émergentes, sans chercher à comprendre les logiques individuelles de chaque participant ou à en produire une collectivement. Les objets peuvent sembler former des représentations géographiques, thématiques ou systémiques, mais l'objectif est simplement de vivre l'émergence d'analogies et de se laisser surprendre par les lectures intuitives qui en résultent.
Une fois le temps imparti écoulé ou une configuration stabilisée, les participants partagent leurs expériences et interprétations, permettant ainsi de nouvelles découvertes et associations. Cette étape de partage favorise la confiance en ses propres perceptions et l'enrichissement de l'expérience par la diversification des lectures possibles.
Les cosmogrammes permettent de faire émerger et ressentir des interrelations partielles entre les entités associés à une expérience partagée. La pratique permet de soutenir le processus d’intégration tout en laissant émerger un grand nombre de pistes pour poursuivre l'expérience ou la raconter. Les effets se poursuivent parfois sur plusieurs mois. Plutôt que la stabilisation d’une représentation partagée, les cosmogrammes font émerger de nouveaux points d’attention pour explorer des sens alternatifs et développer une intelligence analogique.
Pour aller plus loin, la conférence de John Tresch « Cosmograms or how do Things with Worlds » (Anthropocene Curriculum, HKW, 21 janvier 2013)
Traces de pratiques
La Rivoluzione delle Seppie
La Rivoluzione delle Seppie est une initiative transdisciplinaire de professionnels internationaux visant à revitaliser des zones marginales en Calabre. En réinvestissant des espaces abandonnés et en favorisant l'échange de connaissances, ils cherchent à créer une nouvelle communauté qui explore des modes de vie et de travail collectifs alternatifs. L'ihepat est intervenu dans le cadre d'un temps de retour sur les activités du collectif depuis sa fondation en 2017.
La température est d’environ 38 °C. Certain·es font la sieste. « Nous sommes encore en vie ». Sur le sol de marbre frais, nous disposons des objets étiquetés provenant de la maison pour représenter des entités. On tente de créer un cosmogramme — une constellation dynamique d’objets qui incarne l’écologie des pratiques du lieu. Des entités reviennent à plusieurs reprises. On communique en italien, en français, en anglais et en espagnol. Chacun·e est à la fois enthousiaste et perplexe. Difficile de rester dans le brouillard laissé par ce mode de figuration trouble les habitudes.
Une participante fait du crochet ; une personne remarque l’analogie avec ceux qui vont et viennent ; un autre essaie de rendre les étiquettes plus claires ; un autre place intuitivement des objets ; un autre encore attend, incertain·es de la marche à suivre. D’autres discutent. Les habitants du lieu exposent des objets issus des archives du lieu — drapeaux, livres, cartes postales. Quelques gouttes d’eau effacent l’encre de l’étiquette de la source. On se demande « Où est passée l’eau ? ». Le groupe ne réagit pas vraiment. Le soleil venu de la fenêtre ouverte atteint le marché. Le ventilateur est appelé avec humour « changement climatique ». À pleine puissance, il menace la stabilité du cosmogramme.
Les sponsors sont représentés avec des icônes religieuses. Un train relie Londres à la côte, symbolisant les trajectoires personnelles qui commencent à la ligne de chemin de fer, montent à La Casa et divergent vers un avenir incertain. Les autorités locales, bien que jugées importantes, sont encore peu représentées. Elles deviennent des cartes de tarot.
« Nous devrions l’agrandir ! ». Le soleil a rapproché le marché du centre. De temps en temps, on s’arrête pour rouler une cigarette et les interprétations vont bon train. « Y a-t-il des journalistes avec lesquels vous travaillez ? » « Où sont les spritz ? ». Le cosmogramme s’épaissit. « Nous devrions le laisser sédimenter, prendre un moment d’intégration, puis y revenir » « Où sont les fêtes ? » « Elles devraient être incluses dans les Glocals Tools ». « Elles sont partout ! »
Soudain, le changement climatique est très bruyant « Clac Clac Clac Clac Clac Clac Clac Clac ». Pas de réactions. On ne peut pas imaginer arrêter le ventilateur avec cette chaleur. La salle se vide progressivement. L’effort collectif se réduit à cinq personnes alors que la chaleur s’intensifie. Le changement climatique tombe sur la constellation et s’arrête brusquement. On déploie la pergola pour protéger le cosmogramme du soleil brulant. Les Glocals Tools prennent de l’importance et sont maintenant figurés par une grande boîte à outils en métal à côté du Crossing Festival. « L’objectif du Glocal Center est de prendre soin des biens communs »… « en médiatisant la santé commune sans encourager la dépendance ». Crucial dans les discussions, le Glocal Center est étrangement petit dans le cosmogramme. Une ficelle le relie à d’autres parties. « Le Glocal Center formalise des activités qui s’inscrivent sur le long terme ». Finalement, le soleil atteint le centre du marbre, près de la montagne sur laquelle est perchée La Casa. Voici venir l’élixir de jeunesse, qui pourrait préserver le statu quo. « Mais que se passe-t-il s’il venait à manquer ? »
Séminaire de recherche transversal Acclimatements
J’ai posé une feuille A4 sur le sol en l’appelant « la membrane, ce qui protège notre expérience collective ». Cette feuille à été déplacée au-dessus d’un gobelet qui représentait le groupe auquel avait été ajouté un bracelet qui représentait les pratiques de mise en corps matinales. J’essaie de déplier ce qui m’est apparu tout à l’heure dans le cosmogramme.
Du dessus, la membrane est une surface. On ne sait même pas qu’il y a un dessous.
En vue d’oiseau, a 45 degré, on devine un volume sans savoir ce qu’il y a dessous.
Si on change de posture, en se penchant par exemple, on commence à voir qu’il y a des pieds. Sans vraiment savoir de quoi il est question, on devine une présence. Par exemple, on ne verrait pas notre mise en corps matinale.
Par contre, en s’approchant du sol, on voit de plus en plus ce qui est à l’œuvre et la membrane, une fois immergée dans l’expérience, finit par disparaître, on ne la voit plus : on regarde la tranche d’une feuille de papier. Une fois intégré au groupe, sous la protection de la membrane, elle est visible que si on lève la tête, elle nous protège, nous pouvons vérifier sa présence, elle nous permet de ne plus voir celleux qui nous regarde de haut.
D’habitude on pense les membranes en termes de qui rentre/qui ne rentre pas. Qui je suis conditionne mon accès. La forme ou la taille de mon corps me permet ou m'empêche de passer comme les petites gouttelettes sont trop grosses pour passer à travers un masque chirurgical mais pas l'air.
Notre membrane ne filtre pas en fonction de qui je suis mais de comment je m’engage. Ce n’est pas ma forme ou mon identité qui m’empêche d’accéder, c’est ma distance, ma posture ou ma perspective. Si j’accepte de me mettre au niveau du sol, si je veux bien me coucher, prendre le temps de trouver l’angle, je peux accéder à l’expérience. Si je reste extérieur à aucun moment j’ai la sensation d’avoir été repoussé. Je ne me suis pas heurté à une barrière. La nature de mon engagement ne m’aura pas simplement pas permis d’accéder aux dimensions qui compte pour celleux qui sont dans l’expérience.
Un entonnoir jaune prend la place d’« accueil » dans le lieu collectif. D’abord, c’est la grande embouchure qui est en contact avec l’extérieur, puis on le retourne et c’est la petite. On oscille entre un accueil à large spectre qui se rétrécit peu à peu et une ouverture plus discrète, mais qui s’élargit dans le temps. (…) La « rivière Loire » fait son apparition avec l’ajout d’un grand tissu bleu allongé le long de la constellation. (…) Un participant propose de faire de la rivière le support de toute l’activité. On l’invite à aller au bout de son idée et au groupe d’observer l’effet de son action. Avec soin, il déplace chaque objet, ouvre grand le textile bleu et remet chaque objet à leur place à la perfection. Pourtant quelque chose à changer. Ce n’est plus le même cosmos. Même si leur nature et leur disposition n’ont pas changé, on ne s’approprie plus de la même manière les objets que l’on a déposés.
Cette petite crise d’appropriation se tisse analogiquement avec des épisodes récurrents de la vie du collectif que chacun·e a pu sentir et voir ressentis par le groupe dans l’invisible.